Devenir majeur·e en rue : l’accompagnement du Step Forward

21/10/2025

Avoir 18 ans est un cap décisif. Pour certain·es jeunes, c’est l’âge de la liberté, de l’indépendance, des premiers choix de vie. Mais pour d’autres, déjà fragilisé·es par des parcours d’errance, c’est une chute brutale vers l’isolement, la rue ou les addictions.

Certain·es jeunes n’ont pas eu la chance de grandir dans un environnement stable. Placements, conflits familiaux, parents sans abri, ruptures, violences : dès leur plus jeune âge, ils/elles sont pris·es en charge par l’aide à la jeunesse, via le Service d’Aide à la Jeunesse (SAJ) ou le  Service de Protection judiciaire de la Jeunesse (SPJ). Ces structures les accompagnent, les protègent, les encadrent.

Mais à 18 ans, tout s’arrête. L’accompagnement cesse, les institutions ferment leurs portes, et ces jeunes se retrouvent, du jour au lendemain, seul·es face au monde des adultes.

Le ‘Step Forward’, unique programme Housing First bruxellois exclusivement dédié aux 18-25 ans souffrant d’assuétudes et/ou de problèmes psychologiques, accompagne ces jeunes. Antoine, éducateur nous explique ce passage délicat à la majorité : 

« À 18 ans, ils passent du tout au rien. Des éducateur·ices les aidaient pour les courses, les devoirs, gérer les repas… puis soudain, plus personne. »

Une majorité sans transition

À la majorité, ces jeunes doivent quitter l’institution dans laquelle ils/elles étaient placé·es, sans préparation préalable. Certain·es tentent de retourner chez leurs parents, dans des familles souvent fragilisées ou conflictuelles. D’autres errent de canapé en canapé, se retrouvent dans des centres d’accueil d’urgence ou deviennent sans abri. 

Si certain·es reçoivent une aide financière, comme un revenu du CPAS, cela ne suffit pas : sans apprentissage préalable, l’autonomie ne s’improvise pas.

« Ils reçoivent parfois 1300 euros d’un coup, alors qu’ils n’ont jamais appris à gérer un budget. Cet argent peut partir très vite dans des consoles, des vêtements… et ils ne savent plus payer leur loyer. »

Les conséquences sont lourdes : dettes, ruptures de bail, retour à la rue… Beaucoup vivent une succession d’échecs, alors même qu’ils n’avaient pas les moyens de réussir.

La spirale silencieuse

Entre 18 et 20 ans, ces jeunes sont dans un ‘entre-deux’ : plus protégé·es comme mineur·es, mais pas encore prêt·es à fonctionner comme adultes autonomes. Certain·es veulent se former, étudier, trouver un emploi. Mais l’absence de repères, l’isolement, la santé mentale fragilisée rendent chaque pas difficile.

« Ils/elles veulent avancer, vraiment. Mais tout est trop lourd. Et puis, quand tu es perdu·e, tu restes chez toi, tu t’isoles, et tu ne fais rien… », explique Antoine.

À cela s’ajoute un problème structurel : les logements accessibles pour les jeunes en précarité sont rares. Sans logement stable, il est très compliqué de se reconstruire.

Le Step Forward : un tremplin vers la reconstruction

Mis en place il y a dix ans par le Samusocial et le CPAS de Bruxelles, le ‘Step Forward’ repose entièrement sur l’idée que la remise en logement des jeunes constitue un traitement efficace des causes de rupture. En permettant l’accès à un habitat sûr et abordable et grâce à un accompagnement rapproché, les jeunes sont amenés à réaliser une transition saine vers l’âge adulte.

En 2024, 43 jeunes ont été accompagné·es par le Step Forward et 11 ont pu accéder à un logement.

«On reçoit les jeunes via les maraudes, les centres d’accueil du Samusocial, le CPAS, nos partenaires ou encore certains foyers. Leur candidature est ensuite examinée par un comité de sélection, et si leur situation correspond aux critères du projet, on essaye de leur attribuer un logement.»

Mais ici, le logement n’est pas un outil de contrôle, ni une récompense à un bon comportement. C’est le point de départ de la reconstruction. Et cela change tout.

« On ne force rien. S’ils/elles consomment mais ne veulent pas arrêter, on ne coupe pas le lien. On reste là, on explique les dangers, on les accompagne vers une solution. Ce qui compte, c’est leur rythme à elles/eux. »

Une fois installé·es, les jeunes sont accompagné·es par une équipe pluridisciplinaire : éducateur·trices, psychologue, infirmier·ère, assistant·e sociale… Ensemble, ils/elles accompagnent les jeunes,  souvent méfiant·es envers les institutions, dans leurs besoins quotidiens, qu’ils soient administratifs, médicaux ou émotionnels. L’objectif : les aider à reprendre pied, pas à pas.

« On commence par l’essentiel : se poser, meubler l’appartement, remplir le frigo, faire la domiciliation. Le plus important, c’est qu’ils/elles puissent avoir un toit sur la tête et savoir où ils/elles vont dormir ce soir. Avoir un endroit où ils/elles peuvent souffler et se sentir en sécurité. Ensuite seulement, on peut parler de projets. »

Une montée vers l’autonomie

L’accompagnement dure souvent plusieurs années, 3 ans en moyenne. C’est le temps nécessaire pour sortir durablement de la précarité. Certain·es reprennent des études, d’autres trouvent un travail, d’autres encore reconstruisent des liens familiaux ou prennent soin de leur santé mentale.

Le logement est toujours à leur nom. Ce choix renforce leur responsabilisation et évite les rechutes brutales.

Mais des défis persistent. Le frein majeur reste la pénurie de logements abordables. Sans solution durable, les jeunes risquent de replonger dans la précarité : retour à la rue, décrochage, isolement… Le développement continu de collaborations avec des opérateurs de logement (Agences Immobilières Sociales etc.) reste ainsi un pilier de la viabilité du projet.  « Tant qu’ils/elles sont jeunes, on peut encore les raccrocher à quelque chose. Mais sans toit, tout le reste s’effondre. » — Antoine

Dix ans après sa création, Step Forward poursuit sa mission avec la même conviction : offrir à chaque jeune une chance réelle de se reconstruire et de se projeter vers l’avenir.