L’équipe de tournage a rendez-vous à 19h30 au centre d’hébergement d’urgence du Samusocial près de la gare du Midi. Le rendez-vous est fixé dans les bureaux des équipes mobiles situés au 7e étage d’où, il faut bien l’avouer, la vue sur Bruxelles est époustouflante.

L’équipe mobile de nuit compte trois personnes : Naïma, infirmière, Nora, assistante sociale et Jessie, psychologue. Notre équipe 100 % féminine commence par lire les rapports de l’équipe de jour et dresse la liste des différents “signalements”, à savoir toutes les personnes qui ont appelé le Samusocial pour que l’on vienne les aider. Avant de démarrer, Jessie et Nora partent en urgence chercher une dame qui sort de l’hôpital pour la déposer dans notre centre d’hébergement pour femmes.

À leur retour, nous nous mettons à table pour prendre des forces avant de repartir : l’occasion de faire le point tous ensemble et d’expliquer aux maraudeuses le but du tournage. Le Samusocial cherche des moyens supplémentaires pour renforcer sa capacité d’action. Nous souhaitons réaliser une vidéo pour présenter le travail de terrain. Celle-ci sera axée uniquement sur le travail que le Samusocial est le seul à effectuer chaque nuit : aller vers les personnes sans abri dans les rues de Bruxelles pour leur apporter une aide d’urgence et leur proposer de les mettre à l’abri. Ce briefing rappelle que le travail le plus délicat de nos équipes mobiles est d’établir un lien de confiance avec les personnes en rue. De réussir à instaurer un dialogue avec celles et ceux qui ont tout perdu, jusqu’à leur confiance. Pour ne pas rompre ce lien, respecter ce travail, nous décidons qu’avant de commencer à filmer, nous attendrions que l’équipe ait entamé son intervention et demandé à la personne si elle acceptait d’être filmée.

Il est 21h00 et nous partons tous ensemble pour les premières interventions. Nous suivons l’équipe pendant 5 heures sans tourner aucune image, les personnes sont extrêmement vulnérables et refusent qu’on les filme. Minuit sonne et nous rencontrons une première personne : un homme très heureux de nous voir arriver et qui accepte d’être filmé. Il vient chercher quelques couvertures et de la nourriture pour passer la nuit dehors. Nous rencontrons ensuite un couple qui s’est réfugié dans un squat après avoir été expulsé. Ils acceptent également de nous expliquer leur situation, de prendre une boisson chaude et d’être filmés. La nuit se poursuit, nous passons d’un endroit à l’autre de la ville, les rues sont calmes et la plupart des gens que l’on rejoint dorment déjà. Nous nous rendons au centre de Bruxelles où une personne est abritée dans un couloir le long d’un bâtiment. Elle accepte que l’on vienne à sa rencontre, que l’on soigne sa plaie et d’être filmée. Nous regagnons ensuite le centre d’hébergement d’urgence pour aller chercher plus de nourriture à distribuer aux dernières personnes que le Samusocial aidera cette nuit. À notre arrivée au centre, nous prenons nos dernières images : un homme seul en chaise roulante devant la porte d’entrée nous sourit et se dit extrêmement ému d’être filmé.

Après 9 heures de travail, le tournage se termine vers 5h00 du matin. Alors que l’aube affiche ses premiers rayons de soleil, notre équipe mobile entame l’écriture du rapport de cette nuit riche en rencontres de personnes en détresse, mais surtout de personnes en quête d’un regard, d’une écoute, d’une présence, de chaleur humaine pour les sortir de leur isolement, les sortir de cette situation d’exclusion. Le plus dur sera sans doute de rentrer chez soi, alors que cette nuit des milliers de personnes dormiront à nouveau en rue.