Il a 46 ans, il est père de 3 enfants. Cet humanitaire de longue date a repris les rênes du Samusocial le 11 mars 2019. Rencontre avec Sébastien Roy.
19/07/2019
Sébastien, vous êtes un bruxellois pur jus….
Je suis français d’origine par mon père. Je suis né à Namur mais j’ai migré très jeune à Anderlecht. J’ai fait toute ma scolarité dans des écoles communales autour du Parc Peterbos, une des rares « cités » situées à l’intérieur de Bruxelles. Tous mes copains habitaient là dans des buildings plus hauts les uns que les autres. Moi je rêvais d’habiter une de ces tours, ce qui était inconcevable pour ma mère, issue de la classe moyenne. Ce mélange entre une éducation familiale plutôt bourgeoise et un réseau amical populaire au sein d’une cité m’a construit bien plus que l’école. C’est peut-être finalement lui qui m’amène où je suis aujourd’hui.
Parlez-nous de vos débuts dans le monde professionnel…
Depuis mon adolescence, je rêvais de voyager. Une fois mes études terminées, j’ai étudié le journalisme à l’université, ce qui me confère un profil très généraliste. Ces études m’ont permis d’en savoir un peu sur tout, ce qui me différencie des experts, souvent valorisés dans notre société, qui en savent de plus en plus sur de moins en moins.
MSF était à la recherche de profils polyvalents comme le mien, plus horizontaux que verticaux. En 1996, je suis donc parti comme logisticien en Chine pour une urgence inondation. C’était une belle porte d’entrée dans l’organisation. J’y suis resté 3 mois. Mais je n’étais pas convaincu : l’apport MSF n’était pas très utile, et nous étions très surveillés de surcroît. En 97, je suis parti au Rwanda. J’étais en charge de l’accompagnement et la réinstallation des ex-réfugiés Rwandais. Puis ce fut le Soudan, et le Congo, pendant un an, après la chute de Mobutu. On était au cœur de ce que MSF sait faire : être là où les autres ne sont pas. Une urgence choléra m’a ensuite emmené au Mozambique et puis ce fut le Rwanda à nouveau.
Cette seconde fois au Rwanda a marqué un tournant…
En effet. J’étais très touché par l’écart qui existait entre la population et les ONG. L’action des humanitaires était très mal perçue. J’ai eu envie de comprendre. Avec une collègue du département « communication », nous avons fait une enquête qui a révélé ce que nous soupçonnions : les Rwandais ne portaient pas les humanitaires dans leurs cœurs, MSF était vue comme une ONG néo-colonialiste. Nous avons alors voulu leur montrer que MSF intervient là où le besoin s’en fait sentir, y compris dans les pays européens. A l’époque, nous avions un projet à Bruxelles pour l’accès aux soins de santé des populations sans papiers. Nous avons alors eu l’idée de faire venir des journalistes rwandais en Belgique pour visiter ce projet. Ce fut un véritable déclic, cela a brisé l’image d’Epinal qui consistait à croire que les organisations humanitaires n’intervenaient qu’en Afrique.
Cette expérience m’a prouvé l’importance de la communication : ne pas communiquer peut nourrir les fantasmes les plus fous.
Entretemps, vous devenez papa…
Oui ! En 2001, après 3 derniers mois au Rwanda, qui reste mon pays « de cœur », je suis rentré en Belgique avec ma compagne. Et nous sommes repartis au Pérou un an plus tard avec notre premier enfant sous le bras. On y avait notamment un programme de lutte contre le SIDA dans la plus grande prison du pays. 18 mois plus tard, en attente de notre second enfant, nous sommes rentrés en Belgique.
Vous plongez alors dans le monde des Ressources Humaines?
Oui, après quelques années dans diverses positions opérationnelles, je suis nommé Directeur du département des Ressources Humaines chez MSF en 2009. J’y ai appris qu’il était sans doute plus efficace de baser son management sur la confiance que sur le contrôle. A l’époque, cette simple phrase m’a fait m’intéresser à ce qu’on appellait alors les “New Ways of Working”, un concept aujourd’hui de plus en plus développé qui essaye de valoriser au mieux la créativité des employés dans une entreprise, en faisant en sorte que les décisions opérationnelles les plus appropriées doivent être prises par ceux qu’elles impacteront le plus.
J’apprends aussi à lutter contre l’hyperspécialisation de la société actuelle en tentant à tout prix de recruter les personnes davantage sur le savoir-être que sur le savoir-faire.
Vous quittez ensuite MSF pour la Croix Rouge…
Après 20 ans chez MSF, j’ai eu envie de changer, même si MSF reste l’organisation qui m’a construit. Je suis d’ailleurs toujours dans le CA de l’organisation. J’ai donc postulé pour devenir le Directeur de l’Institut de Formation de la Croix Rouge. J’y suis resté 3 ans. Je ne suis pas spécialiste des 1ers secours, mais le domaine de la Formation me passionne. En 2018, nous avons remporté une belle victoire : la validation du brevet des 1ers secours est devenue la condition préalable à l’obtention du permis de conduire ! Le taux de personnes formées aux premiers secours devrait donc augmenter fortement en Belgique dans les prochaines années.
Après 3 années à la Croix-Rouge, vous démissionnez…
Oui, je souhaitais devenir indépendant et faire de l’accompagnement d’équipes, toujours dans le secteur non-marchand. J’ai donc commencé à me former aux nouvelles méthodes de management, basées sur une question principale : comment responsabiliser les équipes pour que les meilleures décisions soient prises ?
Et peu de temps après, vous candidatez au poste de DG du Samusocial…
J’ai beaucoup hésité à postuler, j’étais en plein changement de vie, décidé à prendre du recul sur le travail ; et puis tout à coup, j’ai à nouveau vibré en voyant cette opportunité …J’ai donc passé le cap : je trouvais cela extrêmement intéressant, par rapport à la mission sociale et à l’enjeu que représente la lutte contre le sans-abrisme. On jugera sans doute bientôt les grandes Villes à leur capacité à inclure les exclus. Avec la nouvelle ordonnance, le Samusocial en a davantage les moyens.
Quels sont les principaux défis que vous souhaitez relever dans le cadre de cette nouvelle fonction ?
Il y a bien entendu la volonté de restaurer l’image du Samusocial, qui a énormément souffert. En tant que DG, je compte renforcer les partenariats et davantage ouvrir le SAMU vers le monde extérieur (qui va des associations bruxelloises à ce qui se fait dans d’autres grandes villes hors de la Belgique en terme de lutte contre le sans abrisme), Un autre défi important me paraît être celui de la qualité opérationnelle. Est-il normal d’accueillir les sans-abri dans des infrastructures si vétustes, dans des dortoirs de 80 personnes où nous ne sommes pas capables de garantir la sécurité ?
En interne, il sera également important de remettre les gens ensemble, autour d’un projet : les « affaires » passées ont laissé des traces, les travailleurs doivent pouvoir se réapproprier la mission du Samusocial.
Nous venons de lancer un marché public pour faire appel à une société qui nous accompagne dans la redéfinition de nos valeurs, nos visions, nos missions ainsi que notre stratégie. La mission du Samusocial peut paraître évidente -l’aide aux personnes sans abri- mais il est primordial de se demander jusqu’où nous pouvons aller dans les questions de fond : à quel point investir dans la réinsertion ? Jusqu’où souhaitons-nous aller dans l’accompagnement médical ? Souhaitons-nous mettre sur pied des centres qui ciblent certaines catégories de personnes ? Comment réinvestir dans le suivi psychologique ?…
Cette réflexion aura lieu avec l’ensemble des travailleurs, qui doivent être partie prenante à la définition du nouveau Samusocial.
Enfin, bien sûr, le dernier enjeu touche à la gestion du Samusocial. Il est essentiel de mettre rapidement en œuvre les recommandations de la commission parlementaire et d’être irréprochable au niveau de l’utilisation des subsides. Ce qui passe par la mise en place d’une double signature pour toutes les dépenses, par des procédures de contrôle interne renforcées et par une transparence vis-à-vis du public sur la gestion de nos fonds.