“On m’a condamné à la perpétuité sans preuve”
16/10/2025
Depuis deux ans, Monsieur Marcelin, 69 ans, est hébergé dans l’un des quatre centres pour demandeur·euses de protection internationale du Samusocial, celui de Koekelberg.
Il a fui la République Démocratique du Congo après avoir passé vingt ans dans la prison de Makala, à Kinshasa. En 2021, il parvient à quitter le pays : le Parlement européen l’a invité à venir témoigner à Bruxelles de l’horreur du système carcéral congolais et de son parcours, marqué par une lourde injustice politique.
16 janvier 2001 : le président Laurent-Désiré Kabila est assassiné dans sa résidence par un de ses gardes du corps. La riposte est immédiate : plus de 160 personnes sont arrêtées, essentiellement des membres des services de renseignement, de la police et de l’armée. Monsieur Marcelin en faisait partie. Il travaillait au sein de l’administration présidentielle et avait eu accès à des dossiers sensibles. “J’ai eu la confirmation que j’étais en danger lorsque je suis tombé sur un document qui parlait de l’arrestation de tous nos amis Katangais, sous prétexte qu’on préparait un complot. On nous a associés à une affaire qu’on ne connaissait même pas.” Ciblé à cause de son origine et de sa fonction, il fuit avec d’autres collègues vers le Congo-Brazzaville, où ils demandent l’asile au Haut Commissariat aux Réfugiés.
Quelques jours plus tard, après l’assassinat du Président, la situation bascule. Pour empêcher le retour de l’opposant politique Bernard Kolélas à Brazzaville, Kinshasa demande l’extradition de Monsieur Marcelin et de ses compagnons. “Ils nous ont troqués. Pour bloquer Kolélas, ils nous ont livrés. On nous a dit qu’on allait ‘répondre de la mort du Président’. Alors qu’on n’était même plus dans le même pays.“ Le 22 janvier 2001, à 4 heures du matin, il est remis aux autorités congolaises. Direction : la prison centrale de Makala.
Les détenus de Makala vivent dans des conditions que dénoncent régulièrement les ONG : manque de nourriture, d’hygiène, d’eau potable, traitements inhumains. Le procès s’ouvre un an plus tard, en mars 2002. Le procureur les accuse d’avoir livré des informations sensibles à Brazzaville, mais ne fournit aucune preuve. “Personne n’a su dire de quelles informations il s’agissait. Rien n’a été démontré. Et pourtant, le verdict est tombé : pas de jugement, condamnation à mort, commuée en perpétuité.”
C’est grâce à l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi que Monsieur Marcelin est enfin libéré en janvier 2021. Le nouveau Président signe un décret de clémence, sans toutefois annuler la peine. À sa sortie, il reste un mois à Kinshasa pour récupérer ses documents d’identité, puis retourne brièvement dans sa ville natale de Bukavu. Mais là-bas, la haine l’attend toujours. “On m’a écrit pour me dire que j’étais le prochain. Et c’était vrai. Un de mes amis est mort peu après. J’ai compris que ma vie était en danger.”
Il contacte un avocat, dépose plainte, mais rien ne bouge. Alors, quand il reçoit une invitation officielle de la Belgique, il la saisit. Il débarque le 8 mars 2021 avec un visa d’un mois. Très vite, son fils resté au Congo commence à recevoir des menaces : M.Marcelin en est convaincu, il ne peut pas y retourner. Il se réfugie alors au Petit-Château*, puis est orienté vers le centre de Koekelberg. Là, il attend. “Je ne sais pas quand j’aurai mes papiers. Peut-être demain, peut-être dans un an. Mais ici, je suis en sécurité. On me donne ce dont j’ai besoin.”
En attendant, il participe à des activités communautaires. Sa femme et son fils de 26 ans sont toujours au pays. “Là-bas, il n’y a pas de travail. Et il y a la guerre.” Vingt ans d’emprisonnement arbitraire n’ont pas atteint sa dignité. Aujourd’hui, Monsieur Marcelin attend simplement qu’un pays, enfin, le reconnaisse et lui accorde le droit de vivre en paix.
*Centre d’arrivée des demandeur·euses de protection internationale