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Samusocial

“Parfois, il n’y a juste rien à dire”

10/03/2025

Magali Pratte est directrice opérationnelle adjointe du Samusocial. Les équipes mobiles d’aide font partie des missions dont elle a la responsabilité. Récemment, elle accompagnait une maraude de nuit : elle nous partage son ressenti après cette immersion.  

J’émerge doucement après une nuit immersive dans une autre dimension, au cœur du dédale des rues de la capitale. Sombres et humides. J’en ai pris plein la face, aux côtés d’Edmond, Vincent, Adnan, Nadia avec qui nous avons beaucoup ri, malgré tout. Parce que ça soulage, peut-être. Des rires et quelques anecdotes, entrecoupées de silences, le temps de digérer les images et les situations. Sans vouloir combler les vides parce que, parfois, il n’y a juste rien à dire.

Nous avons croisé la route d’A., de M., et bien d’autres dont j’ai oublié les prénoms. Pourtant, s’il y a bien une chose que nous devrions faire, c’est se souvenir d’eux et d’elles. Toutes et tous dans leur singularité. Leur visage, leur récit, leur prénom. A. nous a appelé.es, car, avec sa chienne Nala, elles sont à la rue ce soir. A ma question rhétorique « ça va ? », elle répond ironiquement : « Vous en posez de drôles de questions ». Je me sens un peu bête et impuissante à côté d’elle, qui, ce soir, nous déverse sa colère et son incrédulité. Alors qu’elle a tout ce qu’il faut – papiers et argent – elle ne trouve pas de logement. Vincent et Edmond l’écoutent attentivement, simplement et sans sourciller, malgré le récit en boucle. Pas de jugement, ni de fausse promesse. Juste une oreille, qui, pourtant, ne suffira pas à essuyer ses larmes de rage. On quittera A. et sa fidèle compagne de route, qui, munies d’une couverture, d’une bouteille d’eau et d’une conserve de thon, iront s’installer sur les marches d’une maison, un peu plus loin, pour y passer la nuit. Sachant que demain, un autre jour se lèvera. Un jour qui, pour certain.es, ressemblera malheureusement trop aux précédents.

Plus tard, nous faisons une boucle par l’aéroport de Zaventem, où depuis quelques jours, un large contingent de policiers oblige les personnes sans abri à quitter les bâtiments entre minuit et 3h. Buiten ! Tout comme les gares et les stations de métro, les halls de l’aéroport offrent un peu de chaleur et de répit. Beaucoup de contrastes aussi, entre les va-et-vient des nombreux.ses voyageur.ses et ceux.celles qui n’ont d’autre choix que de rester. S’abriter quand d’autres s’évadent. Se réchauffer quand d’autres prennent l’air. Se sentir en sécurité quand d’autres cherchent à sortir de leur zone de confort.

Vers 4h, je suis rentrée chez moi, légèrement gênée de retrouver mon nid douillet, après cette nuit pas comme les autres. Enfin, pour moi. Car Edmond, Vincent, Adnan et Nadia retourneront dès demain sur le front. Comme chaque soir. Puis, A., M. et les autres y seront probablement aussi. Plus que probablement. Je me suis endormie avec un regard différent sur la nuit. Sur la rue. Et ses habitant.es. Sur ces héro.ines , travailleur.ses de l’ombre, qui, humbles et discret.es, écoutent les récits singuliers de chaque personne rencontrée et pansent les blessures du monde. Avec une boite de thon ou un café, sans lait. Avec beaucoup de sucre. C’est déjà ça.

J’aurais aimé pouvoir coucher des histoires positives, de type « success stories ». Hélas, c’est plutôt le pire du monde actuel qui, cette nuit, saute aux yeux. L’exclusion. L’oubli. La dérive. L’impasse. Et ce pire qui, pourtant, est rendu banal : le monde semble accepter cette proportion de vies brisées. Ces X pourcent de bras cassés, qui feraient inéluctablement partie des risques à prendre, du prix à payer. Je continue, pourtant, à rêver d’un autre récit, qui refuse la résignation, s’indigne et ose changer les règles du jeu. Pour y croire, je laisse résonner en moi les mots de Marielle Macé, qui nous invite à construire « des cabanes qui ne sauraient soigner ou réparer la violence faite aux vies, mais qui la signalent, l’accusent et y répliquent en réclamant très matériellement un autre monde ».

Merci l’équipe pour cette immersion ! Et sorry pour les mauvaises blagues, les maladresses et les mille et une questions… Prenez soin de vous, comme vous prenez soin du monde.

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