Tranche de vie : un midi au centre Poincaré
16/01/2023
11h30, centre d’accueil pour hommes isolés. Dans la cuisine, Timbo, Sali et Abdelatif s’activent. Dans une demi-heure, les premiers hébergés arriveront pour manger ; certains guettent déjà l’ouverture des portes. L’ambiance est bonne, les employés se connaissent bien. La soupe mijote, les pains sont prêts. Une dernière tasse de thé à la menthe, servie avec la hauteur de circonstance, et le service pourra commencer. « Mais ça, c’est juste pour nous », glisse Abdelatif. « C’est prescrit par mon médecin ! ».
Midi sonne, les premiers hébergés font leur entrée. Le repas de midi est le plus calme de la journée : seuls les hommes ayant obtenu un report (une autorisation de rester une ou plusieurs nuits supplémentaires) y participent. Inutile, donc, d’appeler la régulation téléphonique en quête d’une place pour ce soir. L’ambiance est calme. Près des cuisines trône un petit sapin de noël, vestige de la soirée de réveillon. Posté devant, une tasse de café à la main, Nasim* contemple les guirlandes lumineuses. « C’est beau », murmure-t-il. « J’adore les lumières, à Bruxelles on en voit de toutes les couleurs ».
Nasim est irakien par son père et libanais par sa mère, mais c’est aux Pays-Bas qu’il a grandi. « Jusqu’au jour où j’ai fait une grosse bêtise », explique-t-il. « J’ai dû quitter le pays. Aujourd’hui, je vis sans papiers. Mon avocat me dit que ça s’arrangera, mais ça fait six ans qu’il dit ça ». Son souhait pour 2023 ? : « recommencer à vivre ».
Un peu plus loin, attablé au fond de la salle, nous rencontrons Viktor, arrivé de Roumanie il y a dix ans. « Moi, pour 2023, je veux surtout la santé », marmonne-t-il. « C’est tout ce qui compte ».
Alors que le repas de midi bat son plein, que les samovars remplis de café fonctionnent à l’envi, Juan*, de son côté, cherche une place, un hot-dog à la main. Un petit « extra » rendu possible par un don arrivé le matin-même. Juan est d’apparence robuste, ses mains sont marquées par le labeur. Arrivé en Belgique il y a dix-huit ans, il aura été successivement machiniste, soudeur, ouvrier en marine marchande et chauffeur de poids lourds. Depuis trois jours, il dort au Samusocial. « C’est temporaire », prévient-il d’emblée. « Des problèmes avec ma pension… J’avais un logement de fonction, mais je ne peux plus m’y domicilier. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé à la rue, et ma pension s’est arrêtée. J’espère que le CPAS trouvera une solution la semaine prochaine ».
À l’évocation de ses vœux pour 2023, Juan prend le temps de réfléchir. « Je joue de la guitare et je chante, parfois même devant des gens importants, vous savez ! Alors un jour, j’aimerais partir vivre au Brésil et aider des jeunes à percer dans la musique. Pour moi c’est trop tard, mais j’ai des conseils à donner… ». Ni une ni deux, il sort son téléphone et en exhume quelques vidéos de ses performances passées. Sa voix s’éclaircit, il retrouve le sourire.
Avant de partir, nous recroisons Nasim, à qui nous avions demandé l’autorisation de faire une photo. « D’accord, mais revenez dans dix minutes, je dois d’abord me coiffer », nous avait-il répondu. C’est désormais chose faite.
Leurs parcours de vie sont différents, leurs perspectives divergent, mais Nasim, Viktor et Juan partagent tous les trois une même certitude : ce soir, ils auront un toit pour dormir.
*Nom d’emprunt