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Samusocial

Un soir de spectacle à la Casa Frida

24/02/2023

Samedi soir, cinq femmes de la Casa Frida (notre hébergement de transition destiné aux femmes seules et aux mamans solo) ont présenté aux autres habitantes de la maison le résultat d’un atelier théâtral mené par la Compagnie COS autour du thème de la cicatrice. Imaginé de manière immersive, chaque participante a convié les spectateurs·trices dans une pièce différente du bâtiment pour partager son histoire. Retour sur cette soirée pas comme les autres.

Il est 19 heures à la Casa Frida et les derniers préparatifs de l’apéritif se peaufinent. Sophie, responsable des lieux, avait imaginé commencer à l’heure, mais c’était sans compter les dernières retouches maquillage, les derniers cheveux à lisser et les derniers ongles à vernir : ce soir est un soir de spectacle et mérite, à ce titre, le plus chic des apprêts.

Une fois l’ensemble des participantes réunies dans le salon, le coup d’envoi de la soirée est donné. Les enfants, ravis de grignoter quelques chips comme quelques heures de sommeil, s’activent tous azimuts, les discussions fusent. Mais dans l’air plane une légère tension : prendre la parole en public n’est pas chose facile et, malgré une ambiance des plus conviviales, l’exercice demandera ce soir à chaque participante une bonne dose de courage.

« Nous les avons vues chacune en tête à tête trois fois dans la maison, pendant une heure et demi environ », nous explique Ludovic, co-directeur artistique de la compagnie COS. « À partir du souvenir d’une cicatrice qu’elles se sentaient prêtes à nous raconter, nous les avons encouragées à développer le contexte qui entourait cette cicatrice : l’ambiance, les êtres qui y étaient liés, certaines anecdotes en particulier, etc. On a ainsi abouti à une sorte de “paysage narratif”, parfois un peu décousu, comme le sont tous les souvenirs. On leur a alors proposé une structure narrative ainsi qu’un lieu spécifique dans la maison, qui serve de caisse de résonance à ce récit ».

C’est Alia* qui ouvrira le bal ce soir. Depuis le fauteuil du salon, elle nous replonge d’une voix timide dans son enfance en Mauritanie, dans les tempêtes de sable et les après-midi passées en famille après l’école. Sa cicatrice ? Une brûlure au bras causée par un fer à repasser maladroitement reposé.

Les spectateurs·trices sont ensuite invité·e·s à sortir, pour permettre à l’équipe de changer le décor. Les fauteuils pivotent, l’espace s’agrandit. Ni une ni deux, le salon se transforme en salle de classe. Douma* entre alors en scène pour nous raconter comment son bras porte, encore aujourd’hui, les stigmates de châtiments corporels infligés à l’école, dans son village du Ghana. Une pratique officiellement interdite, mais encore appliquée dans de nombreux établissements. Elle qui s’inquiétait de ne pas avoir le niveau de français suffisant pour mener à bien sa prestation semble désormais fière d’avoir partagé avec une telle aisance son histoire aux autres femmes de la maison.

 

 

Direction ensuite la cave de la Casa Frida. Plongé·e·s dans le noir complet, les spectateurs·trices d’un soir sont suspendu·e·s aux lèvres de Nadia*. L’obscurité n’a évidemment pas été choisie par hasard : l’espace d’un instant, toutes et tous partagent ainsi la cicatrice de cette mère battue dont la vue a été amoindrie par les coups de son ex-mari. Après des années de calvaire et d’espoirs bridés, Nadia a trouvé le courage de passer outre les menaces et de divorcer. Elle loge aujourd’hui avec ses deux filles à la Casa Frida, le temps de se reconstruire pour entamer plus sereinement de nouvelles étapes de leur vie. Bien décidée dans un premier temps à suivre à la lettre le récit dûment répété en amont, Nadia semble prendre toujours plus de libertés narratives au fil de sa prestation. Le parallèle avec son parcours de vie est saisissant.

Vient ensuite le tour de Mélissa, prête à nous raconter son histoire depuis l’escalier de la maison, devenu pour l’occasion le chemin en pente menant à l’embarcadère du village de ses grands-parents. En aidant un jour son grand-père à décharger sa pirogue au retour du travail, elle se blesse la main avec des machettes. Mariam* clôturera quant à elle la soirée dans la cuisine, pour se livrer au sujet d’une cicatrice qui a marqué sa vie comme celle de bien d’autres femmes : sa césarienne. À partir de ces souvenirs pourtant douloureux, Mélissa et Mariam font rire l’assemblée, à coups d’anecdotes cocasses et d’intonations spontanées. Dompter l’émotion pour atteindre même parfois une forme de légèreté : tel était justement l’enjeu de l’exercice.

 

 

Soulagées d’avoir relevé le défi, impressionnées aussi sans doute par ce moment « hors du temps » que permet la représentation publique, Alia, Douma, Nadia, Mélissa et Mariam retrouvent le salon et les enfants qui étaient restés y jouer le temps du spectacle sous l’œil bienveillant de Damien et de Cheikh, travailleurs de la Casa Frida.

« En arrivant tout à l’heure, on ne savait pas vraiment à quoi nous attendre », nous confie Ludovic. « On pensait que certaines participantes nous diraient qu’elles préféraient finalement ne pas le faire. Et ça aurait été tout à fait respectable. Mais rien de tout cela. Si cette pensée les a effleurées, elles se sont accrochées, et elles sont allées bien au-delà des attentes que nous pouvions avoir. Elles nous ont littéralement impressionné·e·s. C’était une vraie surprise ! »

L’heure est désormais au repas, préparé l’après-midi par les habitantes de la maison. Au menu : bananes plantain, feuilles de manioc, poisson fumé, légumes mijotés. Une chose est sûre : la soirée ne fait que commencer.

 

*Nom d’emprunt

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