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Samusocial

La mort au Samusocial – Céline, référente psycho-médico-sociale dans notre centre pour hommes isolés, témoigne.

29/11/2023

Céline et le Samusocial, c’est une longue histoire, débutée il y a vingt ans. Aujourd’hui référente PMS dans notre centre pour hommes isolés, elle connaît probablement les résidents mieux que quiconque. Elle nous prévient d’emblée : la mort, elle l’a déjà croisée de nombreuses fois. Sept fois l’année dernière, pour être précise. Overdoses, refus de soins, maladies… Dans les couloirs de notre centre du Boulevard Poincaré, se côtoient des hommes aux situations précaires, dont certains sont contraints d’appeler chaque jour la permanence téléphonique à 14 heures pour espérer obtenir un lit le soir même. D’autres, plus vulnérables encore, ont obtenu un “report” suite à leur entretien social – une autorisation de rester quelques jours ou semaines, le temps de reprendre des forces.

De la force, nos travailleurs·euses en ont plus que jamais besoin. Et Céline, elle, en a à revendre. Chaque mort engendre chez elle son lot de questionnements. La première fois, c’était au tout début de ma carrière”, se souvient-elle.J’ai réussi à orienter en maison de repos un homme qui avait vécu plus de 20 ans en rue. Il s’appelait James et restait toujours au Parvis de Saint-Gilles, qu’on finissait même par surnommer “Parvis de Saint-James”. J’étais nouvelle au Samu, c’était une grande fierté. Une semaine après, j’ai appris qu’il était mort d’hypothermie, dans la maison de repos. Comment est-ce possible, pour un homme qui a vécu le froid en rue, qui a dormi sur le sol dans des banques ? Ça a été le début d’un grand questionnement pour moi, sur le concept même d’orientation de sortie de rue”.

Cette année, le centre a connu plusieurs décès, dont celui d’un homme qui se savait condamné et refusait de se soigner. “C’est un suicide à petit feu”, nous explique Céline, avant d’embrayer sur l’histoire de Marc, hébergé au centre jusqu’il y a peu. Souffrant de graves problèmes cardiaques, il savait qu’il devait se faire opérer d’urgence. À ce titre, il avait reçu l’autorisation de rester au Samusocial dans l’intervalle. “Mais sa priorité à lui, nous souffle Céline, c’était de finir son livre. Hors de question de se soigner. On a eu une grande discussion avec les équipes : soit on continuait à le soutenir, au risque de le retrouver mort un jour au réveil, soit on le forçait à repasser par le téléphone chaque jour pour obtenir une place tant qu’il n’acceptait pas l’hospitalisation. Après une longue réunion entre responsables, infirmier·e·s, psy et travailleurs·euses sociaux·ales, on a opté pour la deuxième solution. Il n’est pas question ici de ne pas l’accueillir, mais bien de ne pas soutenir son choix de mourir”.

Voyageur pathologique, Marc a sans doute quitté la Belgique pour les Pays-Bas ou l’Allemagne, où il avait l’habitude de se rendre. “On le reverra sûrement un jour”, nous confie Céline. “Du moins, j’espère”

Pour Céline comme pour ses collègues, chaque mort est une épreuve de plus à surmonter. À chaque décès, un service est mis en place pour encadrer les travailleurs·euses afin qu’ils et elles puissent se confier et exprimer leur ressenti. Une personne n’est pas l’autre et réagira à un événement tragique à l’aune de son propre vécu. “Faire le deuil ? On n’a pas le temps pour ça”, nous explique Céline. “Le lendemain, on doit déjà penser à autre chose. Et bien souvent, le drame de la semaine précédente est balayé par le drame de la semaine suivante”. Ce sont bien souvent les causes qui ont conduit au décès de la personne qui risquent de faire craquer un·e travailleur·euse, plus que la mort en elle-même. Le temps : telle est la ressource dont Céline et ses collègues manquent le plus cruellement. Un temps dont bénéficieraient aussi les compagnons de route de la personne décédée : “Quand on apprend à l’un de nos résidents la mort de son ami, deux minutes après, on doit penser à autre chose. Le résident, lui, ne pensera pas à autre chose”.

Céline entretient des contacts réguliers avec le Collectif des Morts de la Rue et se rend parfois aux enterrements organisés. “J’y vais quand je sens que ma présence est nécessaire, ou quand j’ai besoin de boucler la boucle. Certain·e·s travailleurs·euses ou résidents s’y rendent parfois aussi”, nous dit-elle. Il n’est pas rare non plus que Céline soit appelée à la morgue pour identifier un corps, une étape primordiale pour permettre un hommage digne et informer correctement l’entourage. “J’ai déjà appelé une dame pour la prévenir que son père venait de mourir. Quelqu’un l’avait déjà appelée cinq ans auparavant pour lui dire la même chose. C’est extrêmement violent. La personne est probablement décédée en pensant que sa fille ne voulait plus la voir”

Face à ces constats difficiles, la perte de motivation guette souvent nos équipes. Chaque matin à huit heures, quand les travailleurs·euses passent dans les chambres pour réveiller les résidents et leur demander de libérer leur place avant 10 heures, la crainte de trouver un corps sans vie n’est jamais loin. Il faut penser à l’inverse”, nous confie Céline. “À tous ceux qui sont arrivés dans un état second et qu’on est parvenus à remettre sur les rails. C’est ça le sens de notre travail. Le nombre de décès reste marginal, surtout vu la population extrêmement fragile que l’on rencontre.”


Lire le témoignage de Rafaël, coordinateur des équipes mobiles d’aide

 

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