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Samusocial

Le Samusocial et la fracture numérique, épisode 2 : entretien avec Julien, éducateur de notre centre pour demandeurs·euses de protection internationale

27/04/2023

Pour lire l’épisode précédent, consacré à un atelier d’initiation au numérique dans notre pôle « Sans-abris », rendez-vous ici.

Nous prenons aujourd’hui la route de notre centre pour demandeurs·euses de protection internationale d’Etterbeek pour y rencontrer Julien, éducateur, qui a fait de l’initiation au numérique une véritable priorité de ses missions. Rencontre.

Bonjour Julien, peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Julien, je suis éducateur et responsable des activités dans le centre. Mon travail consiste essentiellement à sortir les gens de leur quotidien, via des activités culturelles ou sportives. Mais je m’occupe aussi beaucoup des enfants, et j’épaule les bénéficiaires dans leur recherche d’emploi. J’essaye d’identifier les besoins du centre et d’y trouver une réponse. C’est comme ça que j’en suis venu à donner des cours d’informatique.

De quelles connaissances en informatique les résident·e·s disposent-ils/elles à leur arrivée au centre ?

Pour la plupart d’entre eux/elles, aucune : leur niveau n’oscille pas de 0 à 10, mais de 0 à 0,5. Bien sûr, j’ai déjà rencontré ici des informaticiens, mais c’est de l’ordre de l’exceptionnel. Même les gens qui pensent se débrouiller constatent souvent bien vite que ce n’est pas le cas. Par exemple, certain·e·s résident·e·s passent des heures sur leur smartphone à jouer à PUBG – un jeu souvent associé chez nous à une communauté plutôt « geek ». Mais une fois l’application fermée, ils/elles sont complètement perdu·e·s et peinent à utiliser leur téléphone. Je fais le même constat avec YouTube : les services de consommation et de média tirent en général assez bien leur épingle du jeu.

Mes cours partent donc vraiment des bases : apprendre à utiliser un clavier, une souris, clic gauche, clic droit, comment ne pas bouger sa main en cliquant… Sans surprise, la très grande majorité des personnes que l’on accueille n’arrive donc pas à conserver une adresse e-mail valide, par exemple. C’est pourtant extrêmement important, pour leur procédure comme pour leur vie de tous les jours. Mais ils/elles oublient constamment leurs mots de passe et aucun moyen ne leur permet de les récupérer (parfois, leur compte est lié à un numéro de téléphone, mais comme ils/elles changent de pays, tout s’emmêle). Ils/elles perdent donc tous leurs messages, y compris les communications que leurs avocats pourraient leur transmettre. C’est dramatique.

Comment améliorer la situation ?

Le premier combat à mener, c’est la création d’un e-mail sécurisé pour tou·te·s les demandeurs·euses d’asile. Le deuxième, c’est la mise en place de sauvegardes de données en ligne : les résident·e·s partageant leur chambre avec d’autres, les vols existent. Sauf qu’ici, quand on se fait voler son téléphone ou son ordinateur, on se fait aussi voler ses documents, ses preuves qui vont servir par la suite au CGRA (Le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, NDLR). La solution à cela est informatique : l’accès à un drive pour que chacun·e puisse accéder à ses documents, indépendamment de sa condition matérielle. C’est une solution simple et gratuite, mais il faut juste trouver le temps de l’enseigner.

De quels appareils disposent-ils/elles ?

Très peu ont un ordinateur, et ceux qui en ont un n’ont en général qu’un appareil de très mauvaise qualité. Un smartphone peut suffire, mais apprendre à en faire un usage aussi complet qu’un ordinateur s’avérera alors encore plus complexe.

La salle informatique du centre compte six ordinateurs. Je donne des permanences le matin, mais ce n’est pas assez : ni en termes de nombre d’ordinateurs, ni en nombre de plages horaires. Tout le monde n’est pas du matin : beaucoup de résident·e·s souffrent de dépression et mettent du temps pour se lever. Les parents doivent, quant à eux, conduire les enfants à l’école. D’autres sont en formation, voire travaillent. La salle devrait être ouverte entre 18 heures et 23 heures, mais on manque de personnel.

Rencontres-tu parfois des obstacles linguistiques lors de tes cours ?

Bien sûr. Même pour un francophone, la différence entre un clavier belge et français est problématique : l’arobase n’est pas au même endroit, par exemple. C’est dire la difficulté qu’un clavier français représente pour quelqu’un qui ne parle pas du tout la langue…

Puisque je ne suis pas arabophone, les résident·e·s doivent au moins avoir une petite notion de français ou d’anglais pour assister à mes cours. C’est paradoxal, parce que les gens bloqués par la barrière linguistique pourraient tirer profit de l’informatique pour s’améliorer.

À quelle fin les résident·e·s recourent-ils/elles au numérique ?

Pour suivre leurs dossiers administratifs, essentiellement par mail :  les demandeurs·euses de protection n’ont pas de carte d’identité électronique et n’accèdent donc pas aux services publics en ligne, par exemple.

L’accès à l’emploi aussi nécessite un ordinateur : ne fut-ce que pour suivre efficacement son dossier chez Actiris. Et puis, quelqu’un qui arrive ici et qui ne peut ni travailler, ni se former (les formations commencent souvent en septembre), pourrait très bien suivre des cours en ligne.

Mais le numérique peut également être utile une fois qu’ils/elles ont trouvé un job. Beaucoup travaillent dans la manutention ou le nettoyage : des métiers manuels, mais qui requièrent souvent des compétences informatiques. Pour faire un rapport de mission, remplir un Excel avec les notes du jour, etc.

Certains parents doivent également apprendre les bases du numérique pour suivre la scolarité de leur enfant. Les écoles utilisent de plus en plus Smart School, un outil en ligne pour consulter les bulletins scolaires, etc. Une maman vient, par exemple, me voir régulièrement parce qu’elle ne parvient pas à maitriser l’application. Sans mon aide, elle ne saurait pas comment son fils s’en sort à l’école.

Imagines-tu certain·e·s résident·e·s faire carrière dans l’informatique ?

L’un des métiers les plus recherchés au monde aujourd’hui, c’est développeur. Un poste qui favorise les compétences aux diplômes et qui se fait aisément à distance. Pour le public que je rencontre, c’est idéal. J’aimerais mettre en place un cours de programmation. Ce n’est pas aussi complexe que ça en a l’air : il s’agit surtout d’appréhender une syntaxe grammaticale, un langage. Mais il est évident que ce ne sera à destination que de quelques personnes. Ici, sur 350 résident·e·s, une dizaine pourraient être intéressé·e·s.

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