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Samusocial

Entretien avec Ilhame, de retour après 4 semaines au Samusocial Sénégal

10/02/2023

Nous prenons aujourd’hui la route de notre nouveau centre pour familles de Schaerbeek. Il est presque 21h et Ilhame va bientôt démarrer son service. Nous avons rendez-vous avec elle ce soir pour revenir ensemble sur une expérience qu’elle a eu la chance de vivre en juillet dernier : une formation de quatre semaines au Samusocial Sénégal. Retour sur ce moment pas comme les autres.

Bonjour Ilhame, peux-tu te présenter en quelques mots ?

J’ai rejoint le Samu en tant que travailleuse sociale il y a environ sept ans. J’ai commencé à travailler en centre, mais j’ai longtemps porté une double casquette, parce qu’à l’époque, nous partions également en maraude le soir. Aujourd’hui, les maraudes disposent de leur propre équipe. Aujourd’hui, je travaille de nuit et j’accompagne les personnes sans-abris qui arrivent au centre.

Peux-tu nous en dire plus sur la formation que tu as suivie en juillet 2022 ?

C’est une formation organisée conjointement par l’Université Paris Descartes et le Samusocial International pour sensibiliser les travailleurs·euses à la problématique des enfants de la rue. L’éventail de participant·e·s était très large : des psychiatres, des psychologues, des travailleurs.euses sociaux, des directeurs.trices d’institution venu·e·s des quatre coins du monde.

Tous·tes ne sont pas parti·e·s au Samusocial Sénégal, j’aurais pu choisir une autre institution. Mais le Samusocial Sénégal a une expérience de terrain de plus de vingt ans avec les enfants de la rue, qui constituent là-bas la grande majorité de la population sans abri. J’ai pu bénéficier d’une réelle expertise de la part de mes collègues : appréhender la psychologie de l’enfant face à la rue se fait complètement différemment qu’avec un adulte.

Quel regard portes-tu sur la situation au Sénégal ?

La pauvreté est partout. Les institutions sociales et la population (chez qui l’humanitaire est fortement ancré) font ce qu’elles peuvent, mais énormément d’enfants dorment en rue. Ils font en quelque sorte partie du décor et deviennent presque « des citoyen·ne·s fantômes ». Les acteurs·trices de terrain ont beau faire leur maximum, le pays ne fait pas de cette lutte une priorité. Pourtant, les enfants d’aujourd’hui sont les adultes de demain…

Toi qui es une maraudeuse expérimentée à Bruxelles, as-tu observé des différences opérationnelles avec les maraudes à Dakar ?

La charte et la manière de procéder sont les mêmes qu’ici, parce que ce sont celles du Samusocial International.  Je n’ai donc pas été dépaysée. La vraie différence réside dans le fait que l’on fait à Bruxelles des maraudes « adultes » et des maraudes « enfant(s) avec parent(s) ». Au Sénégal, il n’existe pas de maraudes pour un autre public que l’enfance, car le Samusocial Sénégal est mandaté uniquement pour ce public-là. Et des adultes dans les rues, il y en a très peu là-bas.

Les maraudeurs·euses que j’ai rencontré·e·s font en outre office de pères, de mères, d’éducateurs·trices, de soignant·e·s, de psychologues. Ils et elles font véritablement en maraude ce que feraient des parents avec leur enfant : rassurer, soigner, nourrir, parler, ne pas juger, créer un lien. Cette relation dure en général jusqu’à ce que l’enfant n’ait plus besoin de venir au Samusocial, idéalement parce qu’il a pu recréer un lien avec ses parents/tuteurs, ou parce qu’il a intégré une institution d’hébergement. Certains disparaissent aussi parfois tout bonnement des radars.

C’est aussi intéressant de remarquer que, comme il y a encore quelques années à Bruxelles, au Sénégal, ce sont les travailleurs·euses des centres d’hébergement qui partent en maraude. Cela signifie que, quand un·e hébergé·e entre en conflit avec un·e travailleur·euse, il·elle retrouve le·la même travailleur·euse le lendemain en rue, ce qui peut poser quelques soucis. Par contre, une fois qu’un lien de confiance est établi, il est plus facile d’entrer en contact de manière constructive avec les autres enfants.

As-tu observé chez les enfants des rues une violence telle qu’on en trouve parfois ici entre adultes sans abris ?

C’est tout aussi violent entre enfants. J’ai vu des choses en maraude qui m’ont bouleversée… Un jour, j’ai dû retourner dans la camionnette en pleine maraude, sans pouvoir en ressortir. J’ai vu des enfants très jeunes en train de consommer des substances. Je voyais bien que les plus petits avaient peur des plus grands. Il y avait une sorte de hiérarchie : les grands avaient l’autorité sur les petits, il y avait des bagarres, des jeux de jambes, des claques.

Qu’as-tu appris de ton expérience là-bas ?

La détresse dont j’ai été témoin à Dakar me permet de prendre plus de recul dans mon travail ici. À Bruxelles, des solutions existent. Elles sont parfois laborieuses et complexes, mais elles existent. Je parviens à relativiser davantage, tout en restant professionnelle et empathique : je me concentre sur l’essentiel et j’adopte une plus grande distance émotionnelle sur les histoires de vie qui se présentent en anamnèse sociale.

À l’inverse, quelle expérience acquise ici as-tu pu apporter à l’équipe là-bas?

C’est une équipe sociale de terrain exceptionnelle, très engagée, très formée. Je pense avoir pu leur rappeler le fait que, pour aider les autres, il faut aussi prendre soin de soi. Ils·elles sont tellement engagé·e·s qu’ils·elles ne font plus aucune différence entre leur vie privée et leur vie professionnelle. C’est violent pour eux·elles, et ce n’est pas tenable sur le long terme. Quand j’avais fini mes maraudes et que je parlais avec mes collègues au téléphone, je parlais d’autre chose, alors qu’ils·elles continuaient à parler “boulot”. Je crois avoir pu leur apporter cette distance qui leur manque parfois.

As-tu d’autres projets de formation pour l’avenir ?

J’ai fait des formations à n’en plus finir et je ne compte pas m’arrêter là ! Un.e travailleur·euse social·e ne peut pas rester sur ses acquis, le monde évolue trop vite. On se doit d’ajouter d’autres flèches à notre arc.

J’aimerais par exemple apprendre à mieux connaître la culture des pays d’où sont originaires les personnes que l’on accompagne. C’est primordial pour créer du lien et comprendre les spécificités propres à chaque culture, les « sacs à dos » que portent les gens à leur arrivée ici. Cette compréhension individualisée est essentielle : sans elle, on risque de complètement rater le coche.

Au terme de sa formation, Ilhame a rédigé un rapport de stage intitulé « Quels sont les moyens mis en place par les travailleurs sociaux pour venir en aide aux enfants de la rue au Sénégal ? Quelles perspectives en tirer ? Méthodologie de travail avec le Samusocial Sénégal à travers d’études de cas ». Rendez-vous ici pour le consulter.

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